• Suite du récit de mon père

    Lundi le 15 Février 2016 

    12 heures sur mon balcon il fait 7°

    Suite du récit de mon père 

    Un coup d’œil par ma fenêtre

     

     Je donne la parole à mon père

    pour la suite de son récit - 13 -

     

    De nouveau je me trouvais sur un bateau pour Sassnitz, de nouveau il y avait des wagons avec des porcs de boucherie, il ne maquait plus que la bonne femme au savon pour que ce soit une copie conforme du premier voyage.

    La vue était bonne, la mer calme, au loin je pouvais distinguer des images que lors du Suite du récit de mon pèrepremier voyage je n'arrivais pas à voir : la côte allemande avec
    ses rochers de craie surmontés d'une forêt verte.

    Arrivé à Sassnitz cela durait fort long temps pour passer à travers les "écluses" douanières et politiques. Les gens qui portaient des chaussures à semelles de cuir devaient accepter que l'on arrache les semelles pour contrôler si rien d'illégal n'était caché dedans. Après quoi on signalait aux "patients" ainsi "opérés" qu'ils pouvaient faire ressemeler leurs chaussures dans la rue suivante pour 2 Mark 50 ! Par chance mes chaussures avaient été considérées comme "saines". Lors de la visite corporelle, le sergent chef remarquait mon briquet à benzine qui avait la forme d'une montre, et qui semblait lui plaire énormément, il le tournait et retournait sans cesse dans ses mains, et demandait "comment peut-on ouvrir ce truc" ? je lui expliquais alors que l'on ne pouvait pas l'ouvrir, que c'était soudé d'usine. Comme cette procédure commençait à me barber, je lui fis remarquer qu'il pouvait le garder s'il craignait qu'à l'intérieur, dans la ouate et la benzine il y ait autre chose de caché. L'homme souriait et laissait disparaître le briquet dans sa poche.

    Suite du récit de mon pèreLa première chose que je fis, arrivé à Berlin, c'était de passer à la légation Suisse afin que le nécessaire soit entrepris pour que je puisse retourner à mon domicile dans le Kurland. Après avoir déposé ma demande il ne me restait plus qu'à attendre. A la légation on m'avait proposé de m'aider à trouver un emploi jusqu'à ce que la réponse des autorités militaires allemandes arrive. Ils m'ont remis une recommandation pour le directeur d'un Grand Hotel sur le Kurfürstendamm. Quand je me suis présenté à cet hôtel on m'a dit que le directeur était en voyage et qu'il ne rentrerait que la semaine suivante. Quand j'y suis retourné une semaine plus tard on m'a dit que ce monsieur n'était plus là depuis déjà un certain temps et qu'il y avait maintenant un autre directeur. J'ai signalé ce fiasco à la légation et on m'a remis une recommandation pour un Dr. N. à Charlottenburg.

    Ce Dr. N. m'a fait savoir que son beau-père à W près Eberswalde cherchait un jeune homme ayant des connaissances dans l'administration.

    Les conditions de vie n'étaient alors pas trop mauvaises, avec de l'argent on pouvait obtenir presque tout, mais c'était fort cher. Le lendemain je me rendis à W, un petit village avec une académie forestière célèbre. Sauf erreur le village avait 5 Hôtels. Je devais me présenter dans une fabrique de papier où on m'a dit que je pouvais prendre un emploi d'administrateur de la tuilerie, mais que je devais me débrouiller tout seul pour me nourrir. J'ai répondu que cela n'était pas un problème et le propriétaire de l'usine m'a regardé d'un drôle d’œil et a dit que c'était pourtant ça le problème, se nourrir était une chose pratiquement impossible, que je pouvais me renseigner au village si je trouvais un endroit pour manger. C'était près de midi, aussi me dit-il que je pouvais revenir après-midi pour donner ma réponse.

    J'ai fait le tour de tous les restaurants du village mais il était impossible d'obtenir de quoi manger, ni pour de l'argent, ni pour de bonnes paroles. Partout on me disait, allez au "Bären" ils ont fait boucherie dernièrement, mais j'y avais déjà passé sans plus de succès. Je suis retourné dans un des bistrots où j'avais déjà passé et je commandais une bière et la patronne me demandait : "avez-vous trouvé à manger ?"  je lui ai répondu, non, rien, même pas un bout de pain. Elle c'est éloignée pour revenir peu de temps plus tard et me dire : "venez dans l'arrière-salle" et elle prit mon pot de bière et alla dans l'arrière-salle, Suite du récit de mon pèreje l'y suivis et trouvais sur la table, un grand bout de pain avec du saindoux , elle posait ma bière à côté du pain et me dit : "mangez ceci, je ne puis vous offrir autre chose, je ne peux pas vous servir au restaurant, tous les clients en réclameraient autant."

    La restauratrice m'expliquait alors, que toute la nourriture qui était en trop était expédié à Berlin où on obtenait un meilleur prix, c'est pourquoi qu'ils avaient ici que ce qu'il leur fallait pour les habitants du village et ne pouvaient de ce fait rien donner à des étrangers. Quand j'ai compris la situation je suis retourné à l'usine pour leur raconter mes déboires, ils n'étaient pas surpris du tout. C'est avant qu'ils avaient été surpris.

    Je suis donc retourné à Berlin, quand j'ai vu qu'au buffet de la gare il y avait de la choucroute avec des viennes, je me suis dit, chic, ici tu peux enfin manger. Ils n'avaient toutefois rien d'autre à offrir.

    Si seulement j'avais attendu 5 minutes avant de commander ma portion, j'aurais fait l'économie de cette dépense. En effet, avant moi, un autre client avait commandé la même chose et s'était mis à manger, et je venais de payer ma commande quand ce client s'est mis à jurer comme un cocher : "Mais c'est imbouffable, personne n'est capable de manger cela, j'ai cru qu'il y avait de la viande dans les viennes, mais c'est une infâme bouilli de farine et la choucroute est meilleure si on la broutait directement au jardin". Quand à mon tour j'ai dû constater que les saucisses Suite du récit de mon pèreétaient aigres j'ai quitté le buffet sans un mot, je ne voulais pas acheter des problèmes d'estomac. Finalement j'ai pu calmer ma faim à Berlin, mais non sans tomber une fois de plus dans un piège. Dans la vitrine d'une épicerie il y avait toute sorte de choses, entre autre de l'aspic en gelée en différentes variations. Le prix indiqué 50 Pfennig pour un morceau grand comme une sous-tasse. En quelques secondes j'étais dans l'épicerie et je commandais un morceau. La vendeuse me demandait, Monsieur veut il avec verre ? comme je ne digère pas très bien le verre j'ai fait signe que non, alors la vendeuse l'a renversé sur un bout de papier et j'au pu constater que ce n'était pas plus grand qu'une montre de gousset. Le verre agrandissait le contenu pour attirer le client. Dehors, sur le trottoir je me suis empressé d'ingurgiter l'échantillon en vitesse, sans quoi le vent l'aurait emporté…

    C'est alors que je me suis souvenu que cela m'était déjà arrivé une fois. J'avais vu dans un automate des canapés d'une grandeur appréciable pour 50 Pfennig,  mais quand il était sorti de l'appareil il était quatre fois plus petit qu'à travers le verre qui faisait loupe. D'abord je m'étais fâché pour en rire ensuite à cause d'un client qui criait "comment arrête-t-on cet engin", il était en train de tirer une bière à un automate et il n'en sortait pratiquement que de la mousse, une autre manière de posséder le client.

    Je suis retourné à la légation Suisse pour leur conter mes mésaventures, et que l'engagement était tombé à l'eau pour cause de manque de nourriture, ce qu'ils ne voulaient pas croire. C'est seulement après avoir téléphoné à W qu'ils me croyaient. Voilà donc comment nos représentants à l'étranger étaient renseignés sur ce qui se passait dans le pays ou ils travaillaient.

    Finalement j'ai reçu la réponse des autorités militaires à ma demande, ce fut un refus total. Je me décidais donc d'aller en Suisse, cet arrêt imprévu à Berlin avait anéanti mes finances. A la légation on ne voulait pas me verser d'aide, il paraît que leur argent était réservé qu'aux Suisses d'Allemagne.

    Après de longues tergiversations, au cours desquels on m'a fait entendre bien des choses désagréables, on s'est quand-même décidé à me remettre l'argent pour un billet de chemin de fer de quatrième Classe jusqu'à la frontière Suisse.

    Quand j'ai dit à l'employé de la légation qui était responsable du fond d'aide, que dès que j'aurai trouvé un emploi en Suisse je leur rembourserai ce prêt, il m'a répondu: "y en a déjà beaucoup qui ont dit cela…" Plus tard, quand j'étais en Suisse j'ai appris par la presse que ce personnage s'était rendu coupable de détournement de fonds et qu'il a été extradé pour la Suisse. En ce qui me concerne j'avais remboursé ce prêt dès que je l'ai pu.

    Vu que l'homme est obligé, par les lois de la vie, de se nourrir s'il ne voulait pas s'effondrer, j'ai été obligé de donner en gage ma montre et ma bague dans un "Mont de piété" pour me procurer les moyens d'acheter de quoi manger. Après avoir payé le solde de la facture de la Pension il me restaient environs 10 Mark ce qui m'a permis de payer le long voyage de  Berlin à Schaffhouse, bien entendu en quatrième classe.

    Ce voyage était très fatiguant et sans Suite du récit de mon pèreconfort. Il y avait de longues attentes de correspondances dans les gares. Partout il y avait des militaires, les trains en étaient surchargés et on devait voyager la plupart du temps debout dans des positions fort inconfortables.

    En cours de route, à deux reprises, des agents de la secrète m'ont tâté. Une première fois, tout de suite après avoir quitté Berlin, dans le train, un sergent-chef de l'armée allemande a commencé à discuter avec moi, comme s'il savait que je venais de la Russie il s'est mis à parler de ce pays. Il connaissait même quelques bribes de la langue russe, soit-disant il les avait appris lors de l'expédition des Wirren en Chine. Il vantait les soldats Russes et disait que ce sont aussi des gens charmants et on était obligé de leur tirer dessus etc. etc. Evidemment je ne suis pas entré en matière, cet homme cherchait certainement à me faire dire des choses qui pouvaient se retourner contre moi. Premièrement je ne m'y connaissais vraiment pas du tout en politique, je n'en faisais pas, ensuite je savais qu'il valait mieux se donner un air encore plus bête que ce qu'on était…

    La deuxième tentative, également dans le train, fut entre Stuttgart et Schaffhouse. Suite du récit de mon pèreMon vis-à-vis, c'était une superbe jeune femme blonde que je n'avais pas vu monter dans le train, j'étais trop absorbé par ma lecture. Au bout d'un moment elle me demanda du feu pour allumer sa cigarette. En 1916 il était très rare qu'une femme fumait en publique. Quand je lui avais donné du feu elle m'avait offert une cigarette de son étui, il s'agissait de cigarettes russes, des vrais, je les reconnaissais du premier coup d'œil, car je fumais moi-même cette marque. Elle avait commencé par vanter les avantages des cigarettes russes et passait ensuite au peuple, les militaires et à la politique. En moi elle avait un auditeur absolument muet, ce qui devait lui taper sur les nerfs, car après une heure environs, elle avait quitté le wagon. Je l'ai revue une dernière fois à Thayngen où je devais attendre assez long temps la correspondance pour Schaffhouse.

     

     

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  • Commentaires

    1
    Lundi 15 Février 2016 à 13:43
    josiane

    En lisant je repense à mon papé quand il me racontait ses "mésaventures" pendant les guerres auxquelles il a été obligé de participer.....

    Bon début de semaine

    2
    Lundi 15 Février 2016 à 16:26

    Bonjour Erwin.

    Encore un chapitre très intéressant. Le briquet à benzine...Cela devait donner un goût particulier aux cigarettes !

    3
    Mardi 16 Février 2016 à 11:18
    nays&

    hello Erwin

    tu as une belle vue de ta fenêtre....

    l'aventure continue...vrai une femme qui fumait de ce temps là.. elle était en avance

     

    bonne journée

    bises*

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