• Souvenirs d'ailleurs

    17 janvier 2014

    à 11h j'ai 6° sur mon balcon

    couvert, pluie intermittente

     

    Coup d'œil par ma fenêtre

     

    Notés après mon hémorragie cérébrale du premier avril 1989 voici mes Souvenirs d'ailleurs. Je les avais déjà publié dans mon blog sur WordPress.

    Ça a l'air de sauter du coq à l'âne, mais ça correspond à ce que j'ai ressenti, avec quelques flashs en arrière dans mes journées de travail d'avant... 

      

    Souvenirs d'ailleurs 

           http://chrisfpics.artblog.fr/828449/Ailleurs/

     

    Souvenirs d’ailleurs

    Erwin Junker

     

    C’est la nuit, je suis dans mon lit, à la maison.

    J’ai besoin d’aller aux toilettes. Je me lève, vais aux WC, je veux retourner au lit… que se passe-t-il ? Je ne tiens plus debout, tout tourne, une armée de fourmis grimpe le long de ma jambe droite, le long du bras, elles arrivent à l’épaule, elles me tirent au sol,  je tombe, doucement… les fourmis atténuent ma chute. Qu’est-ce qu’il m’arrive ? Relèves-toi donc ! Je n’y arrive pas, je ne sais plus comment on fait pour se relever… Ma jambe droite ne m’obéit plus, le bras droit non plus.

    Il ne faut pas que je reste parterre, je dois retourner au lit, mais comment ?

    Si Christiane me trouve au sol elle va se trouver mal. J’essaye de me traîner dans ma chambre, je m’agrippe à quelque chose, ça cède, ça fait du bruit…

    Voilà Christiane, elle dit quelque chose, elle tombe…

    Je dois rester éveillé sinon on est foutu…

    Quelqu'un me parle, me demande mon nom, ma date de naissance.

    Je suis couché, ça tangue, je suis attaché sur un lit, je vois des lumières qui défilent derrière les vitres, je suis dans une voiture, une ambulance…

    Est-ce qu’il y a la sirène qui fonctionne ? Je me le demande, ou je le demande ?

    On m’amène à l’hôpital !

     

    *   *   * 

     

    Je suis léger, comme si je volais. mais oui, je plane..... je suis près du plafond, tout là-haut, sur la droite.....

    Je vois un lit sur un podium, il doit s’agir de quelqu’un d’important. Mais, c’est moi dans ce lit. je dresse le poing. J’entends des pleurs, „reste papa, on a encore besoin de toi“. C’est la voix de ma fille Myriam. Où est-elle ? Je la vois, légèrement en contre bas, debout à côté du lit, à ma droite. A gauche je vois Christiane, ma femme, comme elle est blanche.

     

    *   *   *

     

    Je suis seul, couché dans le lit.

    Pourquoi est-il si haut mon lit ? Cela me donne le vertige. Non, je ne peux pas me lever,  je tomberais. Pourquoi ces dames en blanc passent continuellement devant mon podium ? J’entends vaguement, comme le murmure d’une grande foule, quelques voix haut perchées se cristallisent, je ne comprends pas ce qu’elles disent, mais cela doit être très important !

    J’ai sommeil, je suis fatigué…

     

    *   *   *

     

    Je dois rêver, peut-être que j’ai trop bu ? Tout tangue…

    C’est Dominique, mon fils aîné, pourquoi a-t-il les yeux pleins de larmes ?

    J’entends pleurer, j’essaye de voir qui c’est... pourquoi ce brouillard ? C’est comme si on réglait l’objectif d’un projecteur, voilà c’est net. Serge, mon deuxième fils semble aussi avoir de la peine, c’est lui que j’entends pleurer.

    J’espère qu’il n’est rien arrivé à Christiane, ou est-elle ? Pourquoi n’est-elle pas là ?

    Je ne veux pas dormir, je veux savoir… 

    J’ai sommeil. je....suis...fatigué… 

    Pourquoi je me réveille toujours la nuit ?

    La lumière est allumée.

    Je suis seul.

    Tout est blanc.

    Je dois être au sous-sol, peut-être à la morgue ?

    Tout autour il y a des vitrines avec des stores à lamelles.

    Qu’est ce qui résonne si fort dans mon crâne ?

    As t-on sommeil quand on est mort ?

    J’ai sommeil…

     

    *   *   *

                                             

    Depuis quand j’ai deux bras droits ?

    L’un d’eux est mort.

    Pourquoi on ne le jette pas ?

    Il prend trop de place dans mon lit, je ne sais pas ou mettre mon vrai bras.

    J’essaie de jeter celui qui est en trop hors du lit.

    Je n’y parviens pas.

    Personne ne m’aide.

     

    *   *   *

     

    Tiens, il fait jour, je ne suis plus au sous-sol.

    Quelqu’un me parle, je suis dans une chambre, il y a un deuxième lit, celui qui me parle est assis sur le bord de ce lit.

    Que dit-il ? Quelle langue parle t-il ?  Qui est-ce ?

    Une ombre blanche passe, une infirmière, c’est donc cela, je suis à l’hôpital!

    Je ferme les yeux, il y a trop de soleil.

    Ne pas dormir, sinon on va me remettre au sous-sol…

    J’ai tellement sommeil…

     

    *   *   *     

     

    Il fait nuit, tout est noir…

    Je crois que je suis au lit, c’est vrai, je suis à l’hôpital.

    J’étouffe… je n’arrive pas à respirer… où est l’interrupteur ? 

    Je jeux allumer la lumière…

    Je lève le bras, je n’arrive pas à le tendre, je touche quelque chose... le plafond ?

    Non, cela semble être en bois… je tâte à gauche… à droite… c’est la même chose. Je suis enfermé ! Où ?  Dans quoi ? 

    Je frappe sur la planche au-dessus de mon visage, ça résonne, comme dans une grande salle. Dans ma tête il y a comme un écho, personne ne vient malgré ce boucan…

    J’étouffe...  je transpire… au secours !

    Personne… au secours ! ! !

    Le bouton de la sonnette… je suis sauvé !  J’appuie…

    Il fait chaud, la porte s’ouvre, la lumière.....

    je ne suis plus enfermé…

     La garde de nuit. sauvez-moi !

    Un docteur, on verra demain… 

    J’ai chaud, ouvrez la fenêtre, t’étouffe…

    Je suis fatigué… J’ai sommeil…

    Dormir…

     

    *   *   *

     

    Le téléphone sonne, mon voisin de chambre me passe l’écouteur, il dit que l’on me demande.

    - Allo, Junker…

    - Hei, Schaffrian. Hélène…

    C’est le premier coup de fil depuis que je suis revenu !

    Pas facile de parler à quelqu`un que l’on ne voit pas, je ne trouve pas les mots, je veux faire saluer mes amis du Burgenland, je ne trouve pas les prénoms, je fais donc saluer „tout le monde“.

    Je suis en nage, l’écouteur pèse une tonne, mais je suis heureux, je sais téléphoner.

    Cela fait du bien de savoir que là-bas, très loin, au pays des vacances, ils pensent à moi. Les reverrais-je un jour ?

     

    Encore un appel du téléphone.

    Le patron. Il me dit de bien me soigner, de ne pas me faire de soucis, le plus important était de guérir, tout le reste ne comptait pas.

    Il viendra me dire bonjour dès qu’il trouve un moment.

    C’est vrai, avant je travaillais… Il y a longtemps. c’est loin…

     

    *   *   *

     

    Quelle heure est-il ? Le réveil sur la table de nuit me dit 5 heures.   

    Debout, toilette, petit déjeuner, au boulot.

    Au bureau le répondeur téléphonique clignote, il y a donc eu des appels depuis huit heures hier soir. Aujourd'hui y en a quatre, trois ont raccroché sans se nommer, un client me demande de le rappeler, je le ferais après huit heures. Parmi les appels anonymes il y a certainement le patron, il n’aime pas les répondeurs, il m’a toujours donné l’impression d’avoir horreur d’être enregistré.

    Comme chaque matin, je fais mes valises, plus de 30 kilos de catalogues et autres paperasses, j’entasse le tout dans la voiture et c’est le départ.

    Christiane dort encore, ciao, à ce soir.

    Mon premier rendez-vous est à 8h et demi, j’ai plus de 120 km à faire pour arriver chez lui.

    J’ai le téléphone dans la voiture, (on est en 1989, ce n'est pas courant) c’est bien pratique, ça fait gagner du temps et il parait de l’argent... à qui ?  Je peux donc liquider bien des choses tout en roulant. Souvent je me déplace de plus de cent kilomètres sans m’en rendre compte, un coup de fil après l’autre.

    A midi je dîne avec le client, je peux donc continuer à „bosser“ sans perdre de temps, le temps c’est. etc.

    14 heures, autre rendez-vous, autres problèmes, autres affaires, toujours à la course.

    Vers les 17 heures je quitte en général mon dernier client. Même parcours que le matin, mêmes coups de fil, souvent en faisant des enregistrements sur mon dictaphone, il ne faut rien oublier.

    J’arrive rarement avant 19 heures à la maison, je soupe et je vais au bureau pour une heure ou deux. Pendant mon absence le répondeur a fait son plein; réclamations, demandes de renseignements et de temps en temps une commande.

    La journée de 15 heures est devenue une habitude. Dire qu’il y en a qui se battent pour les huit heures…

    Dix heures du soir, au lit, je ne tiens plus ni debout, ni assis.

    Je m’endors comme une masse pour me réveiller à 5 heures le lendemain matin, le réveil n’a pas besoin de sonner, je dois être programmé.

     

     *  *  *

     

    Il fait jour, je suis à l’hôpital, au lit.

    J’entends chanter les oiseaux, il doit être de très bonne heure le matin. J’essaie de lire l’heure sur le réveil que Christiane m’a apporté de la maison, je n’y parviens pas… d’après les bruits c’est bientôt l’heure du „lever“.

    Bonjour, bien dormi ?

    C’est le petit déjeuner; café au lait, beurre/confiture, pain complet. Je n’arrive pas à faire mes tartines, ma main droite ne veut pas..... La jeune fille souriante veut bien m’aider, dommage que ce n’est pas tous les jours elle. Souvent c’est une autre, qui ne semble pas savoir sourire, qui me semble même méchante, peut-être c’est moi qui suis méchant. ?

    Mon voisin de chambre est très sympathique, il peut se lever… difficilement, mais il peut. Il peut aller aux toilettes tout seul… moi ce sont les infirmières qui me lavent, je ne sais pas le faire… 

     

    *   *   *

     

    Je suis au travail, à Bâle ; j’y suis bien installé, un bureau bien équipé avec un lit mural pour les jours où je ne rentre pas à la maison. Jours qui sont souvent plus nombreux que ceux que je peux passer avec les miens.

    Il faut travailler, arriver à quelque chose, arriver a assurer l’avenir de ma famille.

    Il est six heures du matin, l’unique moment de la journée où j’arrive à travailler sans être dérangé à tout moment par le téléphone. Ici il n’y a pas grand monde qui sait le français, ils profitent donc de me passer tous les appels de la Suisse Romande.

    Le patron arrive, il apporte des croissants frais, je me fais un café.

    Il y a tellement de travaux de bureau à faire ! Mon véritable travail consiste pourtant à visiter les clients, à les conseiller et naturellement à leur vendre un maximum de meubles. C’est ce travail que j’aime, mais si la paperasserie n’est pas faite correctement les affaires s’en ressentent. Un cercle vicieux !

    Pour mon patron tout ce boulot administratif est inutile, si un client lui demande à qui il faut s’adresser pour une réclamation il lui répond, sans rire :

    A ma grand-mère - ah oui, elle est où, à Bâle ?  - oui, au cimetière !

    Ce n’est pas facile d’assumer. Si je travaille au bureau je me sens coupable de ne pas voyager et si je vais trouver les clients je me sens coupable de ne pas liquider les papiers qui s’entassent sur mon bureau !

    Je crois que c’est ce que l’on appelle le STRESS  !!!!

     

    *   *   *

     

    Le docteur m’a dit qu’aujourd’hui je peux me lever.

    J’ai la trouille !

    Une infirmière me bande les jambes, je m'assieds au bord du lit, on me met des chaussures.

    Elles se mettent à deux pour m’aider à me mettre debout, heureusement, car c’est vachement difficile avec ce plancher en pente...... ces guiboles qui flanchent...  cette tête qui tourne.

    Finalement j’arrive à faire les trois pas qui me séparent de la chaise où je peux m’asseoir, soutenu par les infirmières.

    Ouf...  je suis fière de moi, je ne suis plus au lit !

    Mais intérieurement je suis catastrophé, je suis foutu, jamais je ne pourrais à nouveau marcher, je panique.

    Aidé par mes anges gardiens je retourne au lit, elles enlèvent les bandes et commencent à les enrouler, je demande à le faire moi-même, surprises, elles me laissent faire. Je dois enguirlander ma main droite pour qu’elle fasse les mouvements qui me permettent d’enrouler la bande. Finalement j’y arrive.

    Je suis fier de moi.

    Je ne suis pas tout à fait foutu !

     

    *   *   *

     

    Je me lève, le jour commence à poindre, le plancher tangue, ma tête est pleine de tam-tams.

    Hier au soir nous avons soupé avec des clients, le patron m’a demandé de terminer la soirée avec les clients dans une „boîte“, lui-même est rentré, il était fatigué.

    De temps en temps c’est agréable de s’amuser un peu, mais lorsqu'on est fatigué c’est tout autre chose.

    Bah, une ou deux Aspirines viendront bien au bout des bourdons dans mon crâne.

    C’est une journée de travail ordinaire. Un client sur deux est mécontent, il attend une réponse de Bâle, depuis plusieurs jours on le fait lambiner, il n’a pas reçu la marchandise juste, il ne l’a pas reçue du tout, etc. etc. etc… 

    J’essaye de résoudre tous ces problèmes au téléphone, entre deux dépassements, à 120 km à l’heure…

    Par moments la tête me tourne, à force de retourner tout cela dans ma tête.

     

    Un coup de fil du patron : Il demande pour combien j’ai vendu aujourd'hui... hier... où je pense aller demain, etc.  etc. ......

    Il n’est pas content, je devrais vendre au moins dix fois plus si je n’étais pas un incapable.

    Si je ne vends pas assez je ne gagnerais pas suffisamment pour honorer toutes les échéances à la fin du mois.

    Il me faut donc travailler plus, vendre plus.

    Comment ?  Comment ?

     

     *   *   *

     

    C’est l’heure des visites. Pour moi il n'y a encore personne. Plusieurs de mes clients sont venus me trouver depuis que je suis revenu à moi, cela m'a fait beaucoup de plaisir.

    Christiane m’a prévenu qu’aujourd’hui elle ne viendrait pas de bonne heure, elle doit aller, je ne sais plus où.

    Le temps passe, je somnole, je vois un accident de voiture. mais non, ce n’est pas Christiane… elle est prudente… J’entends des sirènes d’ambulances… non, c’est le signal qui invite les visites à quitter les malades, c’est l’heure.

    Toujours pas de Christiane, mon rêve serait-il prémonitoire ?

    Je lutte contre l’angoisse… je transpire…

    La porte s’ouvre, la voilà ! Il me semble que je me dégonfle, quel soulagement.

    Ne me fais jamais plus un coup pareil !

     

    *  *  *

     

    Déjà le 15 du mois, le chèque pour mon salaire et pour mes frais du mois précédant n’est toujours pas arrivé. C’est comme presque chaque mois, je dois faire „s’il te plaît“ pour recevoir ce qui est pourtant mon dû. Il faut surtout que je sente que je ne suis pas indépendant, que j’ai quelqu'un en dessus de moi.

    Pour mon patron la famille de ses employés constitue un poids inutile aux pieds de ses collaborateurs, les femmes de ses employés semblent n’être que des chipies qui poussent leurs maris à demander des augmentations de salaire, les enfants des profiteurs qui obligent leur père à dépenser son salaire pour des choses inutiles.

    La famille prend trop d’énergie à ses employés. Forces qu’ils feraient mieux d’utiliser pour le plus grand bien des affaires de leur patron.

    Ce n’est pas évident de travailler, d’aller trouver les clients, avoir l’air heureux et l’esprit en paix avec tous ces soucis qui me trottent par la tête…

     

    *   *   *

     

    Des visites, des clients, des amis, ils me font un plaisir énorme, je voudrais les serrer dans mes bras.

    Je les reconnais, je sais qui c’est mais je ne trouve pas leur prénom… je jais que je les tutoie, mais ne trouve pas les prénoms…

    Ne pas le faire voir, il ne faut pas qu’ils s’en rendent compte, il ne faut pas leur faire de la peine…

     

    *   *   *

    Je me réveille, par la fenêtre je vois le soleil qui inonde les champs, les pommiers en fleurs.

    Que c’est beau ! Il me semble que c’est la première fois que je vois cela.

    Un jour je me promènerai de nouveau dans la campagne avec ma chienne Kaly. Tiens, c’est vrai, nous avons une chienne, un berger belge tout noir.

    Elle doit se demander pourquoi je ne veux plus la voir, pourquoi je ne l’aime plus.

    Subitement je me rends compte que la vie est faite d’autre chose que d’un lit d’hôpital, qu’il existe autre chose que le soucis de savoir s’il y aura des visites, de savoir ce qu’il y aura au menu du dîner.

    Je me rends compte que depuis une éternité je ne pensais plus du tout à ce qui se passait en dehors de l’hôpital, à ce qu’il y avait ailleurs, à ce que je reverrais, à ce que je revivrais un jour.

    "Dehors" la vie doit continuer avec les mêmes soucis qu'avant.

    C’est monstrueux, je me surprends à me demander si je ne suis pas mieux ici, pas de soucis, rien à réfléchir, les autres décident pour toi.....

    J’ai peur du „dehors“…

     

    *   *   *

     

    Je change d’hôpital, on me met à Gravelone pour la rééducation.

    Je suis sur une chaise roulante, on me met dans un petit bus, je roule à travers de la ville de Sion. Je reconnais bien les rues, les magasins. Je trouve qu'il y a beaucoup de circulation… est-ce que c’était la même chose „avant“ ?

    On grimpe sur les hauteurs, c’est vrai, on m’avait dit que Gravelone se trouvait un peu en dessus de Sion.

    Le bus s’arrête, le chauffeur ouvre ma porte, il descend ma chaise, la pousse dans la direction d’une grande porte, est-ce la porte de ma nouvelle prison ?

    J’attends dans ma chaise roulante.

    Une infirmière vient me chercher, on prend l’ascenseur, on monte, on ne me laissera donc pas au sous-sol, elle me met dans une chambre, m’aide à m’étendre sur le lit.

    Ma nouvelle chambre d’hôpital, elle est moins moderne que celle de Champsec mais elle me plait, le soleil l’inonde, la vue par la fenêtre est magnifique. Il n’y a qu’un seul lit, j’ai donc une chambre pour moi tout seul !  On me sert à dîner, je peux choisir parmi plusieurs menus, c’est formidable !

    Après le repas c’est la catastrophe, il parait qu’on c’est trompé, ce n’est pas ma chambre !

    Avec mon lit on m’embarque, presque au pas de course on me pousse dans le couloir, dans une autre chambre, une chambre à six lits. Des rideaux permettent d’isoler tant soit peu l’un de l’autre, lugubre…

     

    *   *   *

     

    Je change souvent de chambre, mon boulot m’y oblige, aujourd'hui ici, demain ailleurs.

    Les premiers temps mes hôtels étaient plutôt sordides, un lit, un chevet et une chaise bancale étaient souvent mon seul univers les journées de travail terminées. Douches et toilettes se trouvaient dans le couloir.

    Par la suite cela c’est amélioré, j’ai pu me permettre de descendre dans des hôtels plus accueillants, les lits étaient plus confortables, il y avait une table, des lampes me permettaient de travailler, d’écrire mes rapports, plus tard il y avait même la télévision et le téléphone et naturellement douche et WC.

    Généralement j’étais tellement fatigué que je ne mettais pas long à plonger dans les bras de Morphée !                                   

    *   *   *

     

    Une doctoresse vient m’ausculter sur mon nouveau lit, elle tire le rideau d’un crème pisseux qui entoure mon plumard, c’est ce qu’ils font certainement lorsque un malade arrive au bout de son calvaire… ce n’est quand même pas encore mon tour ?

    Non, la doctoresse trouve que je suis en pleine forme… elle oublie de dire en forme de quoi.

    On me promet une autre chambre, je ne crois pas que je supporterais longtemps d’être entassé dans celle-ci.

    Finalement j’ai quand même reçu une chambre pour moi tout seul, j’y suis bien.

    Je m’habitue à ma chaise roulante, ce n’est pas évident de la diriger lorsque l’on a un côté du corps qui ne veut pas !

    Mes journées sont assez bien remplies entre les séances de physio ou de Logo, les passages des toubibs, les repas et les visites.

    Aujoiurd'hui je me suis vu dans ma chaise roulante, une porte vitrée faisait un effet miroir. J’en suis donc réduit à cela… ce petit tas informe, tout tordu, qui se déplace tant bien que mal par saccades désordonnées. Si c’est cela ma vie à l’avenir…

     

    *   *   *

     

    Un orthopédiste est venu prendre mes mesures pour des chaussures qui me permettront de marcher. Je ne sais pas si j’en suis content, d’un côté je crois qu’oui, d’un autre je sens comme une confirmation définitive que je ne suis plus comme avant.

     

    *   *   *

     

    Les berges du Rhône plaisent bien à Kaly, à moi aussi d’ailleurs.

    Cela me permet de faire un peu de  marche, j’aime cela et je sens que j’en ai besoin. Pendant que je fais le parcours une fois, Kaly le fait 3 à 4 fois, ses aller-retours continuels l’allonge d’autant. Généralement je termine ma promenade en nage. Après la douche „vite“ encore un peu au bureau il y a toujours du boulot qui m’y attend. Lorsque je remonte à l’appartement je suis de nouveau trempe de transpiration, c’est moins agréable qu’après la promenade, trop de tension à la préparation de la journée de travail de demain…

     

    *   *   *

     

    Grâce aux chaussures orthopédiques je marche chaque jour un peu mieux. Avec un moniteur de physio je grimpe les escaliers de l’hôpital et je parcours les sentiers du parc derrière le bâtiment, il me dit que dans peu de temps je marcherais comme avant…

    L’assistante sociale m’a dit que je devais m’annoncer à l’AI, l’Assurance Invalidité !! Je lui dis que je ne voulais pas, que cela n’en valait pas la peine, dans peu de temps je travaillerais de nouveau…

    L’Assurance - invalidité !  C’est pour les invalides, je ne suis pas invalide, je suis valide, en convalescence, pas invalide…  !

     

    *   *   *

     

    Depuis que mon bureau à Bâle est équipé d’un lit il arrive de plus en plus souvent que j’y dors.

    Lorsque je vais à la maison j’ai l’impression d’y aller en visite, sauf qu’en visite on ne travaille pas…

     

    *   *   *

     

    Lors de la visite des toubibs ce matin ils m’ont dit que samedi prochain je pouvais aller à la maison pour le week-end, en visite… Je suis fou de joie, revoir la maison, Kaly, les voisins...... je n’y croyais plus tellement !

    Christiane est venue me chercher en voiture, je peux m’asseoir sur le siège de devant, ma chaise roulante est dans le coffre.

    Voici Conthey, „ma“ rue, „ma“ maison „ma“ chienne, rien n’a changé, sauf moi… Kaly fait très attention à moi, c’est comme si elle comprenait ce qui m’est arrivé, elle qui sait être une vraie brute, elle est toute douce.

    Je me déplace partout dans ma chaise roulante, aucun pas-de-porte n’entrave mes mouvements. Je visite chaque chambre, chaque recoin, je touche tout, hume tout. Comme cela sent bon, ça sent „ à la maison“, c’est bon !

     

    * * *

     

    C’est aujourd'hui, lors de la grande visite du médecin en chef, des docteurs, physiothérapeutes, logothérapeutes et autres infirmières que la décision va tomber. La décision si je peux rentrer à la maison ou pas.
    J’ai peur… et si je dois encore rester… s’ils ont découvert quelque chose qui cloche… quelque chose qui m’oblige à rester… ?
    Les voilà, ils arrivent, je les entends discuter dans le couloir.
    Il faut que j’aie l’air en forme, en pleine santé.
    Je dois leur montrer comme je sais bien marcher…
    Ostensiblement j’ai posé à côté de moi le livre que je suis en train de lire, un roman policier.
    Je sais de nouveau lire, je dois donc pouvoir aller à la maison !

     

    * * *

     

    J’ai réussi l’examen, je suis rentré définitivement à la maison.
    J’ai retrouvé ce qui formait mon univers „avant“.
    Ma femme,
    ma chienne,
    mon appartement,
    mon fauteuil,
    ma terrasse,
    mon bureau.
    Bientôt je retrouverais ma voiture, mon travail, mes clients.
    La vie est belle.
    La vie reprend.
    Je le veux !
    Je le crois…
    Je ne sais pas encore que c’est le début d’une fin !

    ♥   ♥   ♥

     

    Et voilà, ainsi s'arrêtent mes souvenirs d'ailleurs, presque d'un autre monde... 24 ans se sont écoulés et à ma surprise je suis toujours là... J'ai découvert l'ordinateur, appris à l'utiliser, commencé par l'édition de mon bulletin, le "Pourquoi pas" - j'en suis au cinquantième numéro - et j'ai un blog sur Internet. Mes journées sont bien remplis, je n'ai pas le temps de m'ennuyer.

    C'était la fin d'une époque mais pas la fin de tout comme je le craignais.

     

     

     

    Souvenirs d'ailleurs

    http://www.amesauvage.com/ 

     

     

     

     

     

      

    « Du nouveau dans mon blogLes Jeux de Poutine »

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :